appYuser : En tant que fondateur du collectif et de l’association Green IT et auteur d’ouvrages de référence sur la sobriété numérique et l’écoconception, la question des impacts environnementaux du numérique, ça vous connaît ! Quelles sont les dernières estimations de l’ampleur de ces impacts ? de leur évolution ?
Nos dernières études montrent que, à toutes les échelles (monde, Europe, France, système d’information d’une entreprise), le numérique représente entre 40 et 50 % du budget annuel soutenable d’un européen. C’est-à-dire 40 à 50 % des impacts qu’un européen peut avoir pendant 1 an sans dépasser les limites planétaires. Pour que nos usages du numérique soient soutenables, il faut diviser cette proportion par 10 ! Et ce d’autant plus que les impacts environnementaux associés au numérique augmentent plus vite que dans les autres secteurs d’activité. Selon nos études, la part du numérique dans le budget annuel soutenable d’un européen est ainsi passée de 20 % en 2010 à 40 à 50 % aujourd’hui et elle atteindra environ 60 % à l’horizon 2025-2030 si nous n’agissons pas plus efficacement.
Quid de la sensibilisation des acteurs du numérique à la réduction des impacts environnementaux ?
Le greenwashing est désormais omniprésent chez les acteurs du numérique. 90 % d’entre eux se focalisent uniquement sur les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) qui ne constituent que 11 % des impacts environnementaux du numérique en France. Et ils utilisent pour la plupart des méthodes de calcul non conformes aux standards.
Dans ce contexte, il est essentiel de respecter les standards internationaux, européens et les recommandations méthodologiques de l’Ademe qui convergent vers la réalisation d’Analyses du Cycle de Vie (ACV) respectant le standard international ISO 14040 (ACV), le cadre européen du Product Environmental Framework (PEF), et les Product Category Rules (PCR) définis par l’Ademe.
Le respect de ces standards et méthodologie n’est d’ailleurs plus une option car le droit français commence à s’y référer. C’est par exemple le cas des articles 2 de la loi Climat et Résilience, 17 AGEC et 35 REEN. Ces contraintes réglementaires ne font qu’implémenter progressivement l’affichage environnemental obligatoire pour tous les produits et services en France et en Europe.
Les opérateurs télécoms et les FAI obligés de l’article 13 AGEC et les communes de plus de 50 000 habitants obligées de l’article 35 REEN sont nécessairement plus sensibles à ces sujets.
Enfin, depuis la publication du Baromètre de l’écoconception digitale en France, nous notons que les entreprises du CAC 40 et les organismes publics cherchent à écoconcevoir leurs services en ligne, dont leurs sites web.
Réduire son empreinte environnementale, pour les éditeurs de sites web, n’est-ce pas encore trop vu comme quelque chose de complexe ?
Il y a deux populations. La première a compris que “l’affichage environnemental pour tous” arrive et qu’il est encadré par la réalisation d’ACV. Ces acteurs sont une minorité et ils sont en avance dans leur compréhension de la dynamique du marché.
Il y a ensuite tous ceux qui veulent bien faire et ce sont les plus nombreux. Mais qui, faute d’être formés, amplifient le greenwashing ambiant en se focalisant uniquement sur les émissions de GES associées à leur site web et sur la mise en oeuvre de bonnes pratiques superficielles qui relèvent plus de l’optimisation que de l’écoconception.
En collaboration avec l’AACC, Green IT a lancé un dispositif ouvert “d’étiquette de performance environnementale pour les sites web”. Dans quel but ? Quels résultats à ce jour ? Quelles limites à cette démarche ?
L’enjeu de cette déclaration environnementale pour les sites web est de proposer une méthode homogène permettant à tous les éditeurs de sites web et autres services en ligne de quantifier de la même façon les impacts environnementaux associés et de présenter les résultats de la même façon. Cette standardisation apporte de la lisibilité aux internautes qui peuvent ainsi s’y retrouver avec l’équivalent d’un “Nutriscore pour le web”. Nous sommes fiers d’avoir été les premiers à proposer ce type de dispositif il y a 10 ans avec l’EcoIndex et de l’avoir consensualisé avec l’AACC qui est la fédération professionnelle des acteurs de la communication et des agences web.
Il s’agit cependant d’un dispositif d’attente. A terme, les Pouvoirs Publics devraient préciser la forme que prendra l’étiquette de performance environnementale pour les sites web. Dans le cadre de l’harmonisation européenne en cours, elle s’appuiera inexorablement sur une ACV et un PCR (cf ci-dessus).
Pour arriver à une réelle réduction des impacts, l’une des clés réside dans la mesure de cette empreinte. Un certain nombre d’outils existent aujourd’hui… Quel est votre regard sur ce domaine ?
90 % des outils disponibles comportent trois biais méthodologiques suffisamment importants pour ne pas les utiliser. Certains cumulent les 3 !
D’une part, la vaste majorité se concentre uniquement sur les émissions de GES, ce qui ne représente que 11 % des impacts et qui est donc, par définition, du greenwashing.
D’autre part, certains outils évaluent les impacts d’un site web en fonction de la quantité de données échangées. C’est absurde. Les travaux menés par les opérateurs dans le cadre de l’article 13 de la loi AGEC sur les liaisons fixes (xDSL, FTTH) montrent qu’il n’y a pas de corrélation suffisamment forte entre la quantité de données échangées et les impacts environnementaux associés. Or, les liaisons fixes transportent le gros du flux de données. Ce biais de linéarité est implémenté par de nombreux outils (c’est même leur socle !), ce qui aboutit à des résultats farfelus.
Enfin, d’autres outils s’appuient sur la consommation électrique supposée. Or, un logiciel ou une page web ne consomment pas d’énergie. C’est l’ensemble des équipements – serveurs, routeurs, ordinateurs, écrans, etc. – qui matérialisent un site web qui consomment de l’électricité. Par ailleurs, les impacts environnementaux se situent aux ⅔, voire ¾, dans la fabrication des terminaux des utilisateurs. S’appuyer sur une supposée consommation électrique pour évaluer les impacts environnementaux d’une page web est méthodologiquement incohérent.
C’est pour toutes ces raisons qu’il est primordial de respecter les standards internationaux et européens pour évaluer correctement les impacts environnementaux d’un site web. Cela revient inévitablement à faire une ACV multicritères (16 indicateurs d’impacts) telle que préconisée et encadrée par le PEF européen et exigée par la loi pour les opérateurs (art. 13 AGEC) et les collectivités (art. 35 REEN), et demain pour les éditeurs de sites web.
Il y a quelques mois de cela, appYuser a lancé appYplanet, une solution de monitoring des impacts environnementaux radicalement innovante, puisqu’elle est la seule à quantifier les impacts environnementaux des sites web selon les méthodologies et standards que vous citez . Et qu’elle ne se limite pas à quantifier l’empreinte Carbone. Votre avis d’expert sur cette nouvelle approche ?
Jusqu’à présent, seules des briques technologiques open source comme l’EcoIndex et le service EcoIndex.fr proposaient une approche de type ACV. Bien qu’on puisse les utiliser en production, cela reste des briques technologiques qu’il faut intégrer soit même. Ce sont donc des outils qui ne sont pas directement utilisables en production.
Le premier avantage d’appYplanet c’est de massifier et d’industrialiser la quantification des impacts environnementaux des sites web sans avoir à réaliser soi-même l’intégration de briques techniques.
L’autre avantage est que l’on reste dans son environnement habituel d’évaluation de trafic. Cette facilité d’utilisation, couplée au fait que appYplanet est, à date, l’un des deux seuls outils à respecter les préconisations de l’Ademe et de la Commission Européenne, en font un outil unique sur le marché.
Evidemment, appYplanet reflète les impacts réels en production. Mais ce n’est pas juste un témoin passif. L’outil permet par exemple d’identifier très simplement les pages ou les URLs qui ont le plus d’impacts. appYplanet est donc une porte d’entrée / un tremplin vers l’écoconception de ses services en ligne. Et chaque modification sera prise en compte et évaluée par l’outil.
En tant qu’expert indépendant, je ne peux que conseiller d’utiliser cet outil pour se préparer à l’arrivée de l’affichage environnemental des sites web. appYplanet est parfait pour alimenter périodiquement la déclaration environnementale de son site sans effort.
BIO EXPRESS Frédéric Bordage
Consultant dans les domaines du numérique responsable, Frédéric Bordage est le fondateur du collectif et de l’association Green IT. Il est aussi l’auteur de :
- Ecoconception web, les 115 bonnes pratiques, Eyrolles, 2012-2022
- Sobriété numérique les clés pour agir, Buchet-Chastel, 2019